Registre de reconnaissances du fief de Cervent: quand la Bourgeoisie de Sion se substitue au seigneur féodal
Le registre s’ouvre par la copie de l’acte de vente, le 3 avril 1626, de tous les fiefs – quelle que soit leur nature et celle des cens et revenus qui en proviennent – des nobles de Cervent, représentés par Jacques Waldin, vice-bailli du Valais et plusieurs fois châtelain de la ville et du dizain de Sion. Après le décès de son grand-père, Petermann de Cervent, descendant du noble Jean de Cervent, il est devenu l’héritier des terres du domaine seigneurial de cette famille noble. La vente est faite en faveur des bourgeois de Sion représentés, quant à eux, par Martin Kuntschen, bourgmestre, Christian Lambien, banneret et trésorier, Antoine Waldin, ancien syndic de la ville de Sion et capitaine, et par les notaires qui ont reçu l’acte, Hildebrand Waldin, secrétaire de la ville, et Jean Udret, tous deux bourgeois de Sion. Les terres et biens fonds appartenant au fief se situent dans les paroisses de Conthey, Nendaz, Vétroz, Ardon, Riddes, Saxon, Saillon, Fully et Martigny. Cette vente s’élève à 3000 écus, valant chacun 50 gros, monnaie de Sion, plus la remise d’une dette de 50 livres envers l’hôpital de Sion que le vendeur a contractée, et ce avec quittance. L’acte a été copié d’après son original sur parchemin et authentifié par les notaires Nicolas de Torrenté, bourgeois de Sion et secrétaire de la ville, et Jean Berody, bourgeois de Saint-Maurice et habitant de Sion, dont les signatures avec paraphes figurent à la fin de la copie.
Au début du volume, figure également la copie du mandat confié, le 23 avril 1627, au notaire commissaire Adrien Waldin – qui a donc reçu commission de la part des bourgeois pour effectuer son travail de mise par écrit des droits fonciers du seigneur, afin d’en conserver la mémoire. Adrien Waldin, bourgeois de Sion, châtelain des juridictions de Granges et Bramois, est chargé d’enregistrer les reconnaissances de tous les tenanciers – ceux qui détiennent un fief appartenant à cette famille et reconnaissent lui devoir une certaine redevance. Désormais, ceux-ci doivent la verser aux bourgeois de Sion, nouveaux seigneurs propriétaires du fief. Or, à la suite du décès prématuré du commissaire, victime, semble-t-il, de l’épidémie de peste meurtrière de 1628, le travail n’a pu été achevé, ce qui explique la copie d’un second mandat en faveur des notaires Nicolas de Torrenté et Jean Berody.
Ces différents actes copiés au début du registre servent en quelque sorte de pièces justificatives et permettent de suivre les étapes: rachat du fief de Cervent par la Bourgeoisie de Sion, mandat confié à un notaire commissaire pour procéder au contrôle et au renouvellement des reconnaissances, puis à d’autres notaires pour achever l’entreprise. Et il s’agit bel et bien d’une entreprise assez longue et complexe, nécessitant tout d’abord la copie des précédentes reconnaissances, afin de repérer toutes les parcelles et biens à retrouver ; puis, il faut se rendre sur place dans les villages, auprès des personnes concernées et noter leur déclarations ; puis, à partir d’un premier brouillon, il faut mettre au net, uniformiser et copier la « grosse », une copie soignée destinée à être conservée dans les archives du seigneur afin de prouver ses droits en cas de litige. Le présent volume, qui est donc la grosse, concerne uniquement la région de Conthey et constitue le troisième d’une série de trois registres.
Un acte de reconnaissance repose toujours sur la même structure : une personne, dont l’identité, l’origine et la filiation sont indiquées précisément, reconnaît tenir de son seigneur un ou plusieurs biens (prés, champs, vignes, maisons, granges, etc.) pour lesquels il s’engage à lui payer une certaine redevance annuelle, à une échéance régulière, souvent à la Saint-Martin, le 11 novembre ; cette redevance – aussi bien en espèce qu’en nature – est due au seigneur pour la jouissance qu’il accorde de ce bien, dont la localisation et les confins sont également mentionnés. Au cours des derniers siècles du Moyen Âge et durant l’Ancien Régime, comme ici, la masse des reconnaissances tend à s’accroître considérablement, à gagner en précision et en emphase dans les formules utilisées par les notaires!
Le premier acte, orné de lettrines colorées avec figures humaines et fleurs, est la reconnaissance de plusieurs membres des familles Roux d’Erdes, Vyouzoz de Vétroz, Frossard, Cudry et Blanc de Conthey. Le 30 août 1627, devant le notaire commissaire, toutes ces personnes reconnaissent devoir aux illustres et magnifiques seigneurs bourgeois de Sion des rentes sur des biens reçus en fief perpétuel de la noble famille de Cervent, en l’occurrence ici, des droits d’alpage sur l’alpe appelée Campum Rotundum, sur les hauts de Conthey.
Ces gros registres –celui-ci compte plus de 600 pages, mais certains vont jusqu’à plus de 1000 – sont soigneusement conservés, car ils contiennent la preuve juridique des droits de la Bourgeoisie de Sion sur le fief de l’ancienne famille noble de Cervent, une source de revenus appréciable et régulière. Le fonds des Archives de la Bourgeoisie de Sion conserve une importante série de volumes de reconnaissances ou de rouleaux de parchemin; en effet, les actes de ce type étaient auparavant enregistrés, non pas sous forme de registres aux feuillets de papier, mais sous celle de rouleaux de parchemin constitués de plusieurs peaux cousues ensemble, dont certains, une fois déroulés, mesurent plus de 40 mètres.
Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion