Lettre d’un neveu, évêque nouvellement élu, à son oncle, évêque émérite
Les circonstances et les liens qui unissent l’auteur et le destinataire de cette lettre sortent assurément de l’ordinaire. Depuis Rome, le 2 octobre 1499, quelques jours avant son ordination dans la basilique Santa Maria dell’ Anima, Mathieu Schiner, tout juste nommé évêque de Sion par le pape Alexandre VI, prend la plume pour écrire à son oncle Nicolas Schiner, son prédécesseur dans cette charge, resté à Sion. Il a pourtant quitté le Valais dans l’intention de devenir coadjuteur de son oncle, contraint de se rendre à Rome pour finaliser cette démarche. Or, en cours de route, le plan semble avoir changé…le vieil oncle Nicolas est conscient de manquer de l’énergie nécessaire pour maîtriser les rébellions de ses sujets et tenir tête aux intrigues du roi de France cherchant à inclure les Valaisans dans son alliance avec les Confédérés, conclue le 16 mars 1499. Il résigne donc sa charge, autrement dit remet sa démission entre les mains du pape. Ce dernier accepte bien volontiers, nommant, dans la foulée, le neveu Mathieu évêque à sa place, sans toutefois que celui-ci ait obtenu le consentement du Chapitre cathédral de Sion. Un tel retournement de situation est-il à mettre au compte de l’éloquence impétueuse et de la force de persuasion de Mathieu Schiner, de son excellente formation et de ses connaissances théologiques, de sa prudence et de son intelligence dans les affaires tant spirituelles que temporelles, qualités reconnues et admirées, même par le grand humaniste Erasme de Rotterdam ? Ou ne serait-ce pas plutôt l’influence de l’ambassadeur du duc de Milan auprès du Saint-Père qui est décisive ?
Dans cette lettre autographe, Mathieu Schiner annonce à son oncle la récente confirmation de son élection comme évêque. Il s’adresse à lui, avec beaucoup de révérence, en le nommant « Votre Bonté ». L’avenir de son prédécesseur et parent est cependant assuré, puisque Nicolas reçoit une pension annuelle du pape de 500 ducats, tout en conservant son titre d’évêque, et devient doyen de Valère jusqu’à sa mort en 1510. Mathieu semble toutefois lui avoir promis une promotion comme archevêque titulaire, promesse qu’il n’a pu cependant tenir. Il s’en excuse humblement : « Si dans toutes ces circonstances, j’ai accompli moins que ce que vous espériez, je demande votre indulgence, parce que je n’ai pu agir autrement, bien que la volonté ne m’ait en rien fait défaut. »
La situation du Valais et la façon dont sa récente élection a été reçue préoccupent le nouvel évêque. Il énonce dans les grandes lignes son programme politique. Il ne se laissera pas effrayer par la mazze et, selon lui, la justice a plus de pouvoir que l’injustice. Il donne aussi quelques nouvelles « internationales » : la prise de Milan par le roi de France Louis XII, en septembre 1499, et la prise de Lépante aux Vénitiens par les Ottomans, à la fin d’août de la même année.
Dans la plus grande partie de la lettre, il lance un appel au secours désespéré, car il est en proie à d’importantes difficultés financières. La longue durée de son séjour romain a englouti une partie de l’argent qu’il a emporté avec lui. Il a aussi dû débourser 950 gulden pour s’acquitter du servitium commune, une taxe que doivent payer les prélats nouvellement élus, évêques ou abbés, confirmés par le pape, et pour remplir d’autres obligations envers la Curie romaine. Il se retrouve donc très endetté, alors qu’il doit encore faire face aux dépenses de la cérémonie de sa consécration qui aura lieu, l’annonce-t-il, le dimanche suivant. Comble de malchance, il s’est vu contraint de déposer en garantie auprès d’un établissement bancaire la bulle pontificale de sa nomination comme évêque et il ne peut donc pas quitter Rome avant d’avoir remboursé ses dettes dans un délai d’un mois ! Il risquerait de tomber sous le coup de censures ecclésiastiques, de susciter un scandale public, voire même d’être emprisonné. Il décrit sa situation de façon imagée, disant qu’il est « saisi dans un filet » par ses créanciers. Il prie donc son oncle de lui faire parvenir une aide financière d’urgence : « Je me recommande à toi, comme un fils ; toi qui t’es toujours efforcé de m’élever, ne permets pas que je sois renversé, en proie à la critique de tous. »
Le secours viendra…de celui qui deviendra son pire ennemi, Georges Supersaxo. Ce dernier arrive à Rome, en décembre, avec l’argent nécessaire à le tirer d’affaire. Les deux hommes, alors liés d’amitié, retournent ensemble au pays, où Mathieu Schiner fait son entrée dans sa résidence épiscopale à Sion, en fin janvier 1500, après le passage au nouveau siècle.
Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion