Derrière un recueil de statuts, franchises et ordonnances de la ville de Sion se cache...un secret bien gardé!
Le notaire et secrétaire de la ville de Sion, également chancelier du Chapitre, Petrus Dominarum, a exercé un rôle de premier plan dans l’histoire des archives de la Bourgeoisie de Sion. C’est à lui que nous devons le premier registre des protocoles du conseil, couvrant les années 1495 à 1528. Ce petit cahier de 18 feuillets de parchemin contient des copies d’anciens statuts, franchises et libertés de la ville de Sion, ainsi que d’ordonnances et décisions prises par le conseil. Il résulte certainement de l’initiative du talentueux et très actif Petrus Dominarum, dont la signature figure sur plusieurs feuillets. Il aurait été copié, vraisemblablement, en 1516.
Parmi les copies, sont transcrits les statuts de la ville du 28 janvier 1414. Ce jour-là, Johannes de Compesio alias Brandon et Hugonetus Richardi, notaires, syndics et procureurs de la communauté de Sion, accompagnés de dix autres clercs et notaires expérimentés, conseillers de la ville, se sont réunis, en présence de tous les autres bourgeois. Ils se sont assemblés devant la porte de la cathédrale pour établir ces statuts voués à la préservation du bien commun et à la bonne administration de la cité. Plusieurs articles concernent l’entretien du cours de la Sionne et les mesures de protection contre les inondations. D’autres réglementent l’usage des biens communs, îles et pâturages, la vente du vin et du sel, les conditions d’admission à la bourgeoisie. Les biens ruraux sont protégés contre les maraudeurs, voleurs ou le bétail mal gardé et égaré, par des gardes champêtres ou custodes. Enfin, d’autres articles se préoccupent de la salubrité, en interdisant la vente de viandes ou poissons avariés, le lavage et le rejet d’immondices dans la Sionne ou en exigeant le nettoyage de la ville et l’évacuation du fumier chaque semaine. Le dernier article consacre la charge du secrétaire de la ville, appelé clericus communis. Ce dernier est tenu d’assister aux réunions du conseil et aux assemblées des bourgeois, afin de consigner par écrit toutes les décisions prises, les ordonnances et les actes se rapportant à la ville, et d’enregistrer les réceptions de nouveaux bourgeois, dans un livre de la commune, appelé Liber communis civitatis. Aussitôt après cette description des tâches qui incombent au secrétaire de la ville, Roletus de Lowyna, notaire public originaire de Loèche et clerc juré de la chancellerie du Chapitre de Sion, est nommé à cette fonction. Il accepte bien volontiers sa mission et prête serment sur les Évangiles.
Ce petit registre destiné à préserver la mémoire des actes et des décisions des bourgeois cache cependant bien son jeu. En effet, la face intérieure du parchemin lui servant de couverture, dévoile des secrets inattendus et bien gardés. Il a fallu toute la perspicacité de l’abbé Hans Anton von Roten, fin limier des archives valaisannes, pour les découvrir, dans les années 1940, alors qu’il effectuait des recherches dans le fonds des archives de la Bourgeoisie de Sion. La réaction chimique du sulfure d’ammonium avec les résidus des sels de fer de l’encre, encore présents sur le parchemin malgré l’arasion, a permis de révéler un nom que l’on avait tenté de faire disparaître et d’effacer – une forme de damnatio memoriae ? –, celui de l’auteur des « Articles de Naters ».
Ces « Articles de Naters » représentent une étape importante dans la quête d’autonomie politique du peuple valaisan face aux princes-évêques et dans la lutte contre les ingérences étrangères, des Savoyards en premier lieu. Cet événement se situe après la Guerre de Rarogne et le décès d’André de Gualdo, nommé administrateur du diocèse de Sion, survenu en 1437. Son successeur, Guillaume III de Rarogne, neveu par sa mère de l’évêque Guillaume II de Rarogne, menait jusque-là une paisible vie de chanoine. Le 24 avril 1437, il accepte, à contre cœur, ce fardeau presque insupportable à ses yeux lorsqu’il est choisi comme évêque. Quelques années plus tard, les représentants des dizains du Haut-Valais, réunis à Naters, où séjourne Guillaume III de Rarogne, le 28 février 1446, profitent de son caractère accommodant et pacifique : ils l’obligent, sous la contrainte, à approuver des articles, nommés précisément les « Articles de Naters ». Ceux-ci visent à diminuer le pouvoir de l’évêque, à séparer la juridiction temporelle et spirituelle et, en fin de compte, à renforcer l’indépendance des Patriotes valaisans. Avant la découverte fortuite de ce parchemin, nul ne connaissait l’identité de l’auteur de ces articles...
Or, le 14 février 1448, en présence de notre bienveillant évêque Guillaume III de Rarogne, de Laurentius Groelli, notaire et bourgeois de Sion, et de plusieurs témoins, comparaît Johannes Hennannen, prêtre, vicaire de Glis, accusé de divers délits. Le premier d’entre eux et le plus grave, est d’avoir « fabriqué, dicté et composé » les fameux articles contre les libertés de l’évêque de Sion! Déjà excommunié une première fois pour avoir été vu en public revêtu d’une cuirasse, armé d’une lance et d’armes, il a cependant continué de célébrer des messes, comme si de rien n’était. Déjà puni pour être entré de force chez un clerc de Glis, d’origine allemande, et avoir frappé l’épouse de ce dernier, il n’a cessé d’accumuler les délits. Et pourtant, malgré toutes ces fautes, en partie reconnues, l’évêque, dans sa grande mansuétude, lui accorde son pardon, à condition qu’il accepte de prêter serment sur les Évangiles d’agir désormais avec fidélité envers lui et ses successeurs sur le siège épiscopal. Ce personnage, l’instigateur des « Articles de Naters », originaire de Reckingen, semble avoir fait partie, dans sa jeunesse, des meneurs de la société du Chien, en 1415, durant la révolte contre la famille de Rarogne et l’« Affaire de Rarogne ». Et le voilà, en 1446, bien que prêtre et plus avancé en âge, toujours aussi fougueusement engagé dans la lutte contre le pouvoir épiscopal! Comment a-t-il bien pu obtenir la grâce de l’évêque Guillaume ? Est-ce la pitié pour son grand âge ou de puissants appuis? La grande, peut-être trop grande, générosité de l’évêque? En tout cas, plus jamais il ne fait parler de lui.
Anne Andenmatten, archiviste de la Bourgeoisie de Sion